7 septembre 2009

Conférence de Calgary

Le Canada comme puissance maritime
Marc Imbeault
Collège militaire royal de Saint-Jean
Strategic Advisory Group
Naval Museum of Alberta
Calgary, 1er septembre 2009

« Cette chambre reconnaît le devoir qui incombe au peuple canadien, à mesure que son chiffre de population et ses richesses augmentent, d’assumer dans une plus large mesure les responsabilités de la défense nationale. »
Wilfrid Laurier, Le Canada et la marine, 12 décembre 1912.

Le Canada est une puissance maritime. Sa devise « D’un océan à l’autre » l’exprime clairement, sa géographie le prouve mais sa politique ne l’intègre pas encore pleinement. Je me propose dans ce qui suit de poser les jalons d’une nouvelle approche de la puissance maritime du Canada en développant une vision de celle-ci ancrée dans la réalité géopolitique : une vision résolument tournée vers l’avenir mais aussi respectueuse de nos meilleures traditions en matière de droits politiques en général et de droits de l’Homme en particulier[1].
Le premier homme politique à avoir traduit dans une institution la dimension éminemment maritime de la géopolitique canadienne est le premier ministre Wilfrid Laurier qui créa il y un siècle la Marine royale canadienne. La vision de Laurier peut d’ailleurs encore aujourd’hui nous inspirer. Il pensait, en effet, que son pays deviendrait une grande nation dans l’avenir. Je crois qu’il avait raison et je vais tenter de le démontrer maintenant à partir d’une réflexion sur l’avenir de la marine.
Cette dernière devrait, selon moi, être au cœur du processus par lequel le Canada pourrait devenir un leader de stature mondiale au cours du XXIe siècle. C’est dans cette perspective que je vais tenter de répondre à la question : La marine canadienne doit-elle être indépendante ou intégrée aux forces alliés ?
Pour étayer mon propos je vais procéder en trois étapes.
1. La première portera sur la distinction conceptuelle qu’il faut faire entre les notions politiques de force, de pouvoir, de violence et de puissance.
2. La seconde traitera de la puissance canadienne en tant que telle.
3. La troisième contiendra des recommandations pour l’avenir du Canada et de sa marine à court et à long terme.
L’ensemble du texte est placé sous l’angle de la prospective et tente à l’aide de la philosophie et de la géopolitique de situer le rang de la puissance maritime canadienne dans l’horizon du troisième millénaire.
1. Force, puissance et violence
D’après le philosophe Julien Freund, la notion de puissance doit être soigneusement distinguée de trois autres notions qui forment avec elle une constellation de concepts politiques fondamentaux : le pouvoir, la force et la violence[2].
La puissance d’un État, d’une organisation ou d’un individu relève davantage de l’image qu’ils projettent et de leur réputation que de leur simple réalité. Autrement dit, la puissance est souvent liée au pouvoir et à la force, mais n’est pas forcément limitée par celles-ci. Freund propose deux exemples qui montrent bien cette différence entre la puissance, le pouvoir et la force. Ce sont des cas exceptionnels, mais c’est parfois dans ces situations limites que se révèle la vraie la nature des phénomènes.
Voici le premier : « Jeanne d’Arc, dit-il, n’était qu’une jeune bergère, mais son apparition transforma complètement l’armée royale, puisqu’avec les mêmes armes et les mêmes hommes [c’est nous qui soulignons] elle redonna puissance à une troupe à peu près inapte au combat[3]. » Cet exemple est particulièrement intéressant à la lumière des théories contemporaines du leadership car il montre ce que peut accomplir le « leadership transformationnel ». Jeanne d’Arc redonne toute sa puissance à l’armée française en la transformant. Non pas qu’elle apporte avec elle de nouvelles armes ou même de nouvelles tactiques – là-dessus elle se fiera aux hommes de métier – mais parce qu’elle sera une source d’inspiration extraordinaire pour la troupe, là où il n’y en avait plus. C’est donc uniquement par son charisme, sa détermination et sa vison de la mission spirituelle de la France qu’elle a réussi à faire d’une masse d’individus armés, une troupe de soldats disciplinés, capables d’obéir à leurs chefs et d’appliquer un plan stratégique à grande échelle.
Le deuxième exemple est celui de Napoléon débarquant de l’île d’Elbe : « le prodige de l’invasion d’un seul homme[4] ». Le pouvoir en place et la police française eurent beau l’attendre de pied ferme, il renversa la situation par sa seule présence, sans qu’un seul coup de feu soit tiré. Là encore le charisme joua un grand rôle. Napoléon connaissait personnellement chacun des chefs chargés de le capturer et plusieurs des soldats qui les accompagnaient. Il s’adressa donc directement à eux. Seul et désarmé, il réussit à prendre le commandement de la troupe chargée de l’arrêter et de le conduire à Paris (où il devait être mis dans une cage de fer!) et c’est l’inverse qui se produisit : il remonta vers la capitale pour reprendre le pouvoir[5]. À La Mure, il fait face au bataillon du 5e de ligne. Il se présente alors la poitrine découverte et lance : « S’il en est un parmi vous qui veuille tuer son empereur, me voilà. » Aucun n’obéit à l’ordre de faire feu[6].
Il est des puissances chancelantes qui possèdent pourtant encore beaucoup de force. Au début des années 1980, l’URSS disposait d’une force militaire comparable à celle des États-Unis, peut-être même supérieure, mais sa puissance entamait pourtant un inéluctable déclin.
« Dès qu’une collectivité politique est en perte de puissance, aucune réussite économique ou matérielle ne saurait compenser, politiquement, cette carence. C’est que la puissance dépend moins de la quantité ou de l’abondance des richesses et des biens que de la ténacité, de la détermination résolue et d’une certaine fougue imployable qui ouvrent sans cesse de nouvelles perspectives et accroissent les chances et les possibilités d’extensions. »
L’essence du politique, p.137.
Cette citation d’apparence anodine me semble être d’une importance capitale pour notre propos. Elle signifie qu’il existerait un point de non-retour dans la destinée des collectivités. Un moment à partir duquel la perte de puissance ne pourrait plus être arrêtée. Une sorte de pente fatale qui conduirait inéluctablement au déclin. C’est ainsi que des « superpuissances » apparemment inattaquable et indestructibles, pourraient être graduellement reléguées au second plan. Les meilleurs chefs ne pouvant que ralentir un processus de dissolution indépendant d’eux.
L’Empire romain paraissait indestructible avant d’être vaincu par des hordes de barbares plus déterminés que lui à se battre. Machiavel disait que les meilleures armes font les meilleurs princes et qu’il est illusoire de penser pouvoir gouverner par l’opération du Saint-Esprit comme le croyait le moine Jérôme Savonarole à Florence, mais il a toujours insisté aussi sur la force morale et la bonne fortune du chef politique pour expliquer son succès. La force matérielle impressionne, mais la puissance s’impose plus mystérieusement, elle se développe au-delà des calculs et des bilans économiques ou militaires proprement dit. On la reconnaît au fait que le groupe qui la possède est difficile à vaincre sur le terrain, même lorsqu’il est confronté à un autre groupe disposant de forces matérielles supérieures. Un peu comme sur un échiquier, lorsque l’un des deux camps dispose d’un avantage matériel mais perd l’initiative ou se laisse impressionner par un adversaire plus déterminé.
La puissance n’est pas non plus synonyme de violence, même si elle peut en faire usage. La violence est inhérente au phénomène politique. Tout État possède une police, une armée, un « appareil répressif », qui assure son autorité et permet l’application de la loi. L’usage de cette force peut-être plus ou moins violent. Dans les cas extrêmes, la raison d’État peut être invoquée pour justifier la torture ou le meurtre. Mais, même si la violence peut, comme le rappelle Freund[7], être interprétée comme une manifestation de puissance, elle n’en constitue pas une condition essentielle. L’usage excessif de la violence pourrait même être un signe d’impuissance : « […] la violence est souvent une manière de compenser l’impuissance. En tous cas, la violence ne saurait remplacer la puissance, sinon illusoirement et éphémèrement, à moins de trouver ailleurs un solide fondement à ses capacités. Les révolutions dégénèrent facilement en violence, mais elles trouvent ailleurs la base de leur puissance[8]. »
La puissance ne peut donc être réduite à la force que possède un pays ou à la violence qu’il exerce. Elle repose davantage sur ce qu’il possède mais qui n’est pas encore nécessairement actualisé, sur son potentiel, et encore davantage peut-être sur sa détermination à s’en servir. C’est en ce sens que le Canada peut devenir une grande puissance, car il a incontestablement un immense potentiel. Ce qui lui manque, c’est le temps, la population et la volonté. Ce dernier aspect est très important et nous y reviendrons plus loin.
2. La puissance du Canada
Le Canada dispose d’une combinaison exceptionnelle de richesses qui font de lui un candidat au statut de superpuissance. On y trouve, en effet, la plus grande réserve d’eau douce au monde ainsi que l’une des plus grande réserve de pétrole[9]. Sans parler de tous les autres richesses naturelles qui y sont présentes. Mais, lorsqu’on ajoute à cela trois façades océaniques, un régime politique stable solidement appuyé sur des institutions dont les traditions remontent à l’Empire britannique, on peut dire que le Canada représente du point de vue géopolitique une des grandes puissances de l’avenir.
De fait, le Canada connaît depuis une cinquantaine d’année une montée en puissance qui ne semble pas sur le point de ralentir, les autres pays qui pourraient peut-être rivaliser avec lui étant soit en déclin relatif (États-Unis, pays de l’Europe de l’Ouest) ou surpeuplés (Chine, Inde), sans parler de la dépendance de ces pays vis-à-vis des matières premières. L’exemple des États-Unis est le plus typique. Sa force est incomparable actuellement. Par contre, sa puissance est déclinante. Quant à la Russie, elle peut certes revendiquer elle aussi un immense territoire et de grandes richesses pétrolifères, mais pas de façades océaniques comparables au Canada sur l’Atlantique et le Pacifique. La nouvelle situation de l’Arctique liée au réchauffement climatique ouvre toutefois de nouvelles perspectives tant pour le Canada que pour la Russie. Dans ces conditions, la montée en puissance du Canada pourrait devenir quasiment irrésistible. D’abord, ce réchauffement risque de provoquer un phénomène appelé « immigration écologique ». Or, l’une des destinations privilégiées de cette immigration pourrait être notre pays. Ce qui aurait pour effet de remplir la première condition évoquée plus haut pour augmenter la force du Canada.
Ensuite, le réchauffement devrait permettre l’exploitation de tout le territoire canadien – ou du moins d’une large partie, et notamment du grand Nord, dont on sait maintenant que le sous-sol regorge de richesses. Enfin, si le climat du Canada a été jusqu’à maintenant un désavantage, il va rapidement devenir un atout puisque c’est là que se trouveront les zones les plus tempérés du globe. Autrement dit, les inconvénients du réchauffement de la planète pourront être compensés au Canada par des avantages qui lui permettront d’augmenter sa force et de tirer profit au maximum de son immense potentiel.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’ouverture du « passage du Nord-Ouest » et la rivalité entre le Canada et la Russie évoquée plus haut. Il s’agit d’un défi de taille mais, sur le long terme, le Canada dispose d’un avantage stratégique déterminant sur son rival : ses deux autres façades océaniques, celle de l’Atlantique et celle du Pacifique. Alors que la Russie ne pourra compter au mieux que sur une seule façade océanique, le Canada aura la possibilité de déployer sa flotte sur trois. Il n’en reste pas moins que, dans ces conditions, le Canada aura comme jamais besoin d’une marine capable d’assurer sa sécurité. Ce sera une priorité autant du point de vue militaire que commercial. C’est pourquoi, il est important de commencer dès maintenant à tenir compte de cet impératif dans la planification stratégique de la défense nationale. Ce qui m’amène à parler de la philosophie qui devrait guider cette stratégie à court et à long terme.
3. L’avenir du Canada et de la marine canadienne
Lors d’un séminaire portant sur les risques maritimes en matière de terrorisme tenu récemment à San Diego[10], l’un des conférenciers a conclu son exposé de manière « humoristique » en montrant un « pédalo » surmonté d’une mitraillette et portant le drapeau du Canada. Cet épisode stigmatise la réputation de la marine canadienne comme étant à la fois faible et mal équipée. Or, dans la réalité, la marine canadienne n’est pas à ce point démunie. Elle se situe en fait juste derrière celles de pays comme la Grande-Bretagne ou la France et se distingue par sa très grande interopérabilité avec les pays alliés.
Là où elle pourrait peut-être augmenter rapidement sa force serait en améliorant sa capacité de travailler avec les autres éléments des Forces canadiennes, notamment en ce qui concerne les communications. Mais, ici, il faut dire que les autres éléments des Forces canadiennes doivent eux aussi faire les efforts nécessaire pour s’adapter à la marine canadienne. Tout simplement parce que le Canada est essentiellement une puissance maritime. Ce n’est pas pour rien que, pendant la Seconde Guerre mondiale, notre pays s’est d’abord distingué sur les mers. C’est aussi grâce aux océans que nous conservons l’un des plus hauts niveaux de vie sur la planète. Il est donc évident que l’ensemble des Forces canadiennes devraient avoir en vue cette caractéristique essentielle de la géopolitique canadienne et, par conséquent, appuyer la marine et participer à son développement et à son rayonnement partout dans le monde.
À long terme la marine devrait devenir le fer de lance des Forces canadiennes et le pivot de son système de défense et d’attaque. Le développement de la puissance canadienne est conditionné par le contrôle de son immense littoral et l’affirmation sans équivoque de sa souveraineté sur les eaux territoriales des trois océans qui l’entourent. Mais, il faudra aussi à l’avenir que la marine canadienne puisse intervenir avec de plus en plus de force au-delà des limites de ses eaux territoriales pour faire entendre la voix du Canada partout dans le monde. C’est pourquoi la marine canadienne doit devenir une force de premier plan au niveau mondial.
Or, c’est justement en jouant un rôle sur le plan mondial que les Canadiens pourront influencer positivement le destin de l’humanité. C’est ainsi qu’ils partageront les traditions politiques humanistes qui les caractérisent et qu’il n’est pas question d’abandonner au profit d’une simple politique de puissance. Car comme le disait Laurier : « La seule façon de défendre ses idées et ses principes est de les faire connaître.[11] »
Le Canada, en effet, ne pourra pas conserver à l’avenir le même type de politique qui le caractérisait à l’époque où il se limitait essentiellement à des missions de maintien de la paix. En devenant une grande puissance, il devra tôt ou tard assumer le type de politique qui caractérise celles-ci. Autrement dit, il ne sera pas possible de continuer à penser comme un petit pays alors que nous serons devenus un grand pays. Les autres nations ne nous laisseront d’ailleurs pas le choix. Le Canada devra donc faire preuve de la volonté nécessaire pour jouer le rôle que la conjoncture mondiale l’appelle à jouer et que son devoir lui impose. Nous devrons donc avoir suffisamment de forces pour assumer les conséquences de nos décisions, sans parler de la simple défense de nos intérêts vitaux.
Notons aussi que la stratégie navale suggérée ici n’exclut aucunement le développement des autres éléments des Forces canadiennes. C’est même exactement le contraire car en appuyant sa philosophie militaire sur la réalité de son territoire, le Canada pourra assurer la stabilité de sa politique, la prospérité de son économie et le développement d’une force intégrée. Une intégration dont ont parle depuis longtemps, mais impossible à réaliser si l’on ne prend pas conscience de l’importance de la marine au sein du système de défense et, surtout, si l’on ne prend pas conscience des changements cruciaux qui sont en train d’affecter notre territoire.
Conclusion
Rappelons pour terminer cette leçon du philosophe Machiavel pour qui la force morale – la détermination – est un élément clé de toute équation politique. Sans elle, la richesse matérielle, la force des armées et la grandeur des institutions politiques n’est plus rien. En ce sens, nous pouvons encore une fois nous inspirer de Laurier pour énoncer notre recommandation finale à ceux qui se demandent si la marine canadienne doit rester indépendante ou si elle doit s’intégrer aux Forces alliées. D’après moi, la modération du principe énoncé par ce grand homme d’État canadien au début du siècle dernier en parlant de l’Empire britannique vaut toujours : « L’empire, disait-il, se compose d’une multitude de nations libres soumises à un même souverain, mais qui, avant tout, se doivent à elles-mêmes[12]. » Aujourd’hui encore, et pour longtemps j’espère, le Canada ne se doit qu’à lui-même. Il doit s’allier aux autres nations qui partagent avec lui des valeurs communes et des intérêts communs, mais il doit aussi défendre jalousement sont indépendance. Or, ces deux objectifs ne sont pas contradictoires mais complémentaires.
Il est en effet parfaitement possible à la marine canadienne de jouer un rôle dans les Forces alliées tout en restant indépendante. Et, même s’il est vrai qu’en l’état actuel des choses, la marine canadienne – et le Canada lui-même – ne jouent qu’un rôle relativement mineur au sein de celles-ci, les lignes prospectives que j’ai tracées permettent de penser que la situation pourrait évoluer à plus ou moins long terme. Si, comme je le crois, le Canada est appelé à devenir une véritable puissance mondiale, il doit dès aujourd’hui se donner les moyens de ses ambitions, et ce, notamment, en se dotant d’une organisation militaire suffisamment puissante et indépendante pour relever les défis qui l’attendent.
Montréal, août 2009


Bibliographie
BAINVILLE, Jacques, Napoléon, Arthème-Fayard, Paris, 1931.
BÉLANGER, Réal, Dictionnaire biographique du Canada en ligne, http://www.biographi.ca/.
CRESWELL, Kevin, “Maritime Security and Port/Border Awareness”, presentation au Bicoastal Counter Terrorism Summit, Halo Corporation, San Diego State University, Visualization Center, avril 2009.
FREUND, Julien, L’essence du politique, Paris, Sirey, 1965.
IMBEAULT, Marc, “L’exportation des valeurs canadiennes”, conférence prononcée à Saint-Jean-sur-Richelieu lors du colloque Le nouveau champ de bataille, en 2007, disponible sur le site : www.phigeo.blogspot.com.
IMBEAULT, Marc, « La conflictualité au cœur du Saint-Laurent », conférence prononcée à Québec lors du colloque Le Saint-Laurent en guerre : 1608-2008, disponible sur le site : www.phigeo.blogspot.com.
IMBEAULT, Marc et MONTIFROY, Gérard, Géopolitique & Économies, Paris, Frison-Roche, 1997.
IMBEAULT, Marc et MONTIFROY, Gérard, Géopolitique & Pouvoirs, Lausanne, L’Age d’Homme, 2003.
“La marine dont le Canada a besoin”, site de la marine canadiennes, http://www.navy.forces.gc.ca/.
LAURIER, Wilfrid, Le Canada et la marine, Discours prononcé par le Très Honorable Sir Wilfrid Laurier, Chef de l’Opposition, 12 décembre 1912, Bureau Central de l’information du parti libéral canadien, Ottawa, 1913.
MACHIAVEL, Le Prince, trad. de Jean Anglade, Paris, Le Livre de Poche, 1972.
Point de mire. Stratégie de la marine pour 2020, Défense nationale, Direction de la stratégie maritime, disponible sur le site de la marine canadienne, http://www.navy.forces.gc.ca/.
SCHULL, Joseph, Laurier. The First Canadian, Toronto, MacMillan of Canada, 1965.
WILLIAM, Donald, Le choc des temps, Paris, Frison-Roche, 2000.
WILLIAM, Donald, Le temps des rivalités, Sainte-Foy, Fleurs de Lys, 2002.


[1] Au sujet des traditions canadiennes en matière de défense des droits de l’Homme on se reportera à notre conférence intitulée : « L’exportation des valeurs canadiennes : Réflexion sur la guerre en Afghanistan », prononcée lors du colloque intitulée Le nouveau champ de bataille, tenue au Collège militaire royal de Saint-Jean en 2007 et dont le texte est disponible à l’adresse : www.phigeo.blogspot.com.
[2] FREUND, Julien, L’essence du politique, Paris, Sirey, 1965.
[3] L’essence du politique, p. 136.
[4] Le mot est de Chateaubriand, cité par Jacques Bainville, Napoléon, Paris, Arthème Fayard, 1931, p.448-449.
[5] Réalisant la prophétie : « L’aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. », Napoléon, p. 448.
[6] Sur cet épisode, Napoléon, p. 450.
[7] L’essence du politique, p.139.
[8] L’essence du politique, p.139.
[9] On trouvera un exposé de ce phénomène appliqué à la province de Québec dans notre conférence intitulée : « La ‘conflictualité’ au cœur du Saint-Laurent », prononcée à Québec lors du colloque Le Saint-Laurent en guerre : 1608-2008 et disponible sur le site : www.phigeo.blogspot.com.
[10] CRESWELL, Kevin, “Maritime Security and Port/Border Awareness”, Bicoastal Counter Terrorism Summit, Halo Corporation, San Diego State University, Visualization Center, avril 2009.
[11] Dicocitations, http://www.dicocitations.com/auteur/2605/sir_Wilfrid_Laurier.php, consulté le 26 août 2009.
[12] Cité par Réal Bélanger dans le Dictionnaire biographique du Canada en ligne, http://www.biographi.ca/, consulté le 25 août 2009.

Conférence de Québec

La « conflictualité » au cœur du Saint-Laurent

13e Colloque Canada-Québec en histoire militaire
Le Saint-Laurent en guerre (1608-2008)

Marc Imbeault

Collège militaire royal de Saint-Jean
Division des études permanentes

Marc.Imbeault@cmrsj-rmcsj.ca
marc.imbeault@gmail.com


1. Le fleuve d’une nation

La signification du Saint-Laurent évoque plusieurs symboles. Je voudrais discuter le sens de quelques-uns d’entre eux autour du concept géopolitique de « conflictualité ». Le fleuve a été depuis 400 ans le lieu de conquêtes, d’invasions et de guerres, mais aussi de compétition économique et de rivalités incessantes. Il représente donc en premier lieu un axe de défense et de combats, l’un des points culminants de ces batailles étant la conquête de Québec en 1759. Il y a 400 ans, le fleuve Saint-Laurent comme route commerciale est le moteur du développement économique de la jeune nation canadienne-française. Il devient rapidement la « colonne vertébrale » de l’économie canadienne et le point d’appui de sa puissance. C’est grâce à lui que le Canada émerge dans le concert des nations à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Mais, au cours du XXe siècle, et en ce début de XXIe, le Saint-Laurent se retrouve au cœur de nouveaux conflits. Depuis le milieu du XXe siècle, en effet, la province de Québec a connu la montée d’un mouvement nationalitaire[1], dont la marche aboutira à la reconnaissance par le gouvernement canadien de la nation québécoise.

Je voudrais discuter du sens de cette reconnaissance et des perspectives quelle ouvre pour l’avenir du Québec et du Canada. L’une des questions qui se posent est de savoir si la configuration géopolitique et historique du Saint-Laurent entraînera nécessairement de nouveaux soubresauts dans les relations entre le Québec et le Canada, ou bien si la reconnaissance du Québec comme nation est un symbole suffisamment puissant pour contenir la « conflictualité » inhérente à la géopolitique du Saint-Laurent.

Pour tenter de répondre à cette question je voudrais d’abord mettre en perspective deux thèses mise de l’avant par Alexis de Tocqueville et Arthur de Gobineau au XIXe siècle. La première, idéaliste et libérale, soutient que malgré l’existence de déterminismes d’ordre matériel, les êtres humains peuvent orienter leur avenir. La seconde thèse, matérialiste, soutient le contraire, c’est-à-dire que le destin de l’humanité est déterminé d’avance et qu’on n’y peut rien changer. Je voudrais ensuite proposer une solution inspirée de Machiavel. Ce dernier rappelle que même si nous ne pouvons pas empêcher la nature de se déchaîner périodiquement, rien ne nous empêche de construire des digues et de faire des travaux en prévision de ces intempéries. De sorte que, même si les êtres humains ne peuvent pas déterminer la marche de l’univers, du moins peuvent-ils essayer d’en prévoir les caprices et s’y préparer. En ce sens, il pourrait être utile de réfléchir à l’avenir du Québec en fonction des soubresauts du passé en prévoyant que de nouvelles crises surviendront puisque le Saint-Laurent est un axe de conflictualités récurrentes et systématiques. Nous pourrions ainsi profiter de l’accalmie actuelle – en partie due à la reconnaissance du Québec comme nation – pour ouvrir la voie à une nouvelle philosophie des rapports entre le Québec et le Canada. Une philosophie qui tiendrait compte des leçons du passé pour ouvrir de nouvelles perspectives d’avenir.

2. Gobineau et Tocqueville : déterminisme et liberté

Les deux auteurs étaient non seulement des amis, comme en témoigne leur abondante correspondance[2], mais ils partageaient certaines idées fondamentales. La plus importante étant que les sociétés étaient marquées par une tendance universelle à l’égalisation. Par contre, ils interprétaient de manière différente les conséquences possibles de cette égalisation. Gobineau y voit une pente fatale qui mènera progressivement à la disparition de toutes les différences entre les peuples jusqu’à l’uniformisation finale précédant la mort selon un processus que les êtres humains pris individuellement ne peuvent que subir plus ou moins héroïquement. Tocqueville, à l’inverse, conçoit l’égalisation comme un défi pour l’humanité, l’occasion d’un authentique choix de société entre deux types de régime : libéral ou autoritaire, voire tyrannique.

Au début de son célèbre et controversé Essai sur l’inégalité des races humaines[3] Arthur de Gobineau pose cette question fondamentale : « Quelle est, quelle peut être la part du libre arbitre [c’est moi qui souligne] dans le développement des civilisations, quel peut être son rôle dans un ensemble soumis au déterminisme universel des lois de la vie ?[4] ». Dans son Essai, cette question prend la forme d’une interrogation sur la naissance, la croissance, le déclin et la mort des civilisations. Gobineau soutient à ce sujet que les fléaux comme le fanatisme, le luxe, les mauvaises mœurs, l’irréligion ou les mauvais gouvernements ne peuvent à eux seuls expliquer la disparition apparemment inéluctable des États et qu’il faut plutôt chercher la cause de l’effondrement des civilisations à l’intérieur d’elles-mêmes. « Indépendamment donc des circonstances de bien-être ou de malaise, on[5] a commencé à envisager la constitution des sociétés en elle-même, et on s’est montré disposé à admettre, dit-il, que nulle cause extérieure n’avait sur elle une prise mortelle, tant qu’un principe destructif né d’elle-même et dans son sein, inhérent, attaché à ses entrailles, n’étaient pas puissamment développé, et qu’au contraire, aussitôt que ce fait destructeur existait, le peuple, chez lequel il fallait le constater, ne pouvait manquer de mourir, fût-il le mieux gouverné des peuples, absolument comme un cheval épuisé s’abat sur une route unie. [6] » Essai sur l’inégalité des races humaines, p. 161. Dans l’Essai de Gobineau cette thèse prend la forme d’un déterminisme biologique dont la dialectique n’est pas sans rappeler celle proposée quelques années plus tard (dans une perspective économique) par Karl Marx en 1859[7] dans la tout aussi célèbre préface à la Contribution à la critique de l’économie politique[8].

Le détail des thèses de Gobineau ne nous intéresse pas tellement ici, mais j’aimerais esquisser une comparaison des perspectives mise de l’avant par Gobineau et Tocqueville au sujet du déterminisme et de la liberté. Les deux auteurs étaient d’accord sur un point fondamental. Tout deux pensaient que le trait caractéristique de l’évolution des sociétés était le processus d’égalisation dont la Révolution française avait marqué l’accélération à la fin du XVIIIe siècle. Pour Gobineau ce processus d’égalisation signifiait que l’espèce allait être homogénéisée à un point tel que tout esprit créateur et authentiquement original finirait par disparaître pour laisser place à une société entièrement domestiquée, contrôlée, vieillie au point de n’être plus capable de se régénérer. Ce destin funeste devant aboutir à la disparition pure et simple de l’humanité dans un ou deux millénaires. De son côté, Tocqueville propose une interprétation toute différente de l’égalisation. S’il considérait cette tendance à l’égalisation des conditions comme indéniable, Tocqueville pensait quelle ne déterminait pas entièrement le destin des sociétés humaines. « Le développement graduel de l’égalité, dit-il, est un fait providentiel. Il en a les principaux caractères : il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine, tous les événements comme tous les hommes ont servi son développement.[9] » Ce fait inexorable doit être accepté comme un fatum : « Serait-il sage de croire qu’un mouvement social qui vient de si loin puisse être suspendu par une génération ?[10] » Sur ce point, Tocqueville est entièrement d’accord avec Gobineau. L’égalisation des conditions sociales est une vérité qui ne dépend pas de la volonté des hommes. Elle s’apparente plutôt à celle de Dieu et il ne sert à rien de s’y opposer. Par contre, Tocqueville apporte une nuance importante à sa pensée. Il précise que si nous ne pouvons pas stopper le mouvement de l’égalisation, du moins pouvons-nous en infléchir la direction. Il dépend de nous, en effet, qu’elle soit ordonnée ou tyrannique, agitée ou tranquille, pacifique ou guerrière, libérale ou oppressive. Autrement dit, si le destin des sociétés est commandé par une inexorable tendance vers l’égalité, il n’est pas pour autant forcé au nivellement par le bas, à la dictature de l’opinion ou à la tyrannie de la majorité, pour reprendre une expression chère à Tocqueville. C’est en ce sens-là, me semble-t-il, que la philosophie de Tocqueville se distingue de celle de Gobineau et l’emporte. Mais, si Tocqueville est le maître de la pensée libérale. Machiavel est le maître de la pensée politique et c’est vers lui que je voudrais me tourner maintenant pour compléter ma réflexion sur la conflictualité au cœur du Saint-Laurent.


3. Une approche machiavélienne du Saint-Laurent

3.1. Le libre arbitre selon Machiavel

Dans Le Prince, Machiavel aborde le problème du libre arbitre dans le domaine politique avec la perspicacité qu’on lui connaît. Il dit, en substance, que les êtres humains, bien qu’ils soient soumis aux caprices de la nature, peuvent construire des digues pour contenir les torrents et que, de manière générale, même s’ils ne peuvent pas empêcher les tempêtes et les ouragans; peuvent-ils du moins s’y préparer à l’avance et prévoir des abris afin d’en diminuer les effets :

« […] comme notre libre arbitre ne peut disparaître, j’en viens à croire que la fortune est maîtresse de la moitié de nos actions, mais qu’elle nous abandonne à peu près l’autre moitié. Je la vois pareille à une rivière torrentueuse qui dans sa fureur inonde les plaines, emporte les arbres et les maisons, arrache la terre d’un côté, la dépose de l’autre; chacun fuit devant elle, chacun cède à son assaut, sans pouvoir dresser aucun obstacle. Et bien que sa nature soit telle, il n’empêche que les hommes, le calme revenu, peuvent prendre certaines dispositions, construire des digues et des remparts, en sorte que la nouvelle crue s’évacuera par un canal ou causera des ravages moindres. Il en est de même de la fortune : elle fait la démonstration de sa puissance là où aucune vertu ne s’est préparée à lui résister; elle tourne ses assauts où elle sait que nul obstacle n’a été construit pour lui tenir tête. »

Nicolas Machiavel, Le Prince, XXV, Le Livre de Poche, p.130-131.

Il en est de même en politique d’après Machiavel. Le prince (le chef politique), ne peut tout prévoir à l’avance, mais au moins peut-il se prémunir contre les revers de la fortune et en minimiser les effets négatifs. Il doit prévoir qu’il y aura des imprévus et se ménager toujours une marge de manœuvre suffisante pour pouvoir réagir au coup du sort qui ne manquera pas de survenir. Il me semble que l’on peut en dire autant aujourd’hui des peuples, voire de l’humanité toute entière. Son destin est peut-être conditionné par les données de la géographie, de l’histoire et de l’économie mais il n’en est pas moins capable de concevoir des plans et de « prévoir l’imprévisible » de sorte qu’il peut influencer son destin pour une part au moins égale à celle de tous ces « déterminismes » que les philosophies matérialistes nous ont appris à connaître.

3.2. La résurgence du Saint-Laurent et la nation québécoise

C’est dans ce contexte que j’affirme que le destin de la Laurentie est arrivé à un carrefour stratégique important. Commençons par dire quelques mots de son « déterminisme géographique », caractérisé par « l’entaille hydrographique » qui la caractérise et pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui. Si la route maritime du Saint-Laurent demeure importante, son rôle stratégique a diminué avec le déplacement du pôle économique du Canada vers l’Ouest. Par contre, les réserves en eau et en pétrole[11] - deux milliards de barils selon le journal Le Soleil[12] – non encore exploitées devraient rapidement ramener le Saint-Laurent au cœur de la « conflictualité » qui a toujours été l’une de ses caractéristiques géopolitiques. Cette nouvelle source de richesse et de conflictualité aura certainement une dimension planétaire puisque les deux richesses dont nous parlons ici sont pour l’économie mondiale comme la chair et le sang pour le corps humain : des éléments vitaux.

Le Saint-Laurent représente donc un enjeu vital pour le monde de demain. Ces prémisses étant posées, que peut bien signifier la reconnaissance du Québec comme nation par le gouvernement canadien du point de vue de la philosophie politique ? Je souligne ici le mot philosophie car je n’ai pas l’intention de tirer ici de conclusion de nature politicienne. En clair, il n’est pas question pour moi de prôner une option politique particulière : fédéraliste, souverainiste ou indépendantiste, mais plutôt d’essayer de comprendre une réalité de fait reconnue de tous. Je poursuis. Si le Québec est une nation et que cette nation est assise sur un trésor unique en son genre – on possède parfois du pétrole ou de l’eau en abondance, mais rarement les deux en même temps – que devrait être sa philosophie politique ? Autrement dit, qu’est-ce que les Québécois devraient faire de la part de leur destin – pour suivre Machiavel – qui dépend d’eux ? Au moins deux voies politiques me semblent possibles. La première est la plus simple et peut être aussi la plus sage, du moins à prime abord. Elle consiste à ne rien changer au statut politique actuel et à négocier au cas par cas, et au fur et à mesure que les choses évoluent, des ententes partielles, sans remettre en question les bases du régime constitutionnel en place. La deuxième voie, apparemment plus risquée, mais qu’une portion non négligeable de Québécois semble encore privilégier, consiste à modifier le statut politique du Québec pour en faire un pays distinct du Canada; ou encore une entité souveraine qui pourrait continuer de faire partie du Canada tout en ayant plusieurs attributs normalement reconnus seulement aux pays souverains (la souveraineté-association ou option Lévesque).

La première voie étant la plus simple et la plus connue, autant pour ses avantages indéniables que pour ses inconvénients, puisque c’est celle que nous connaissons depuis plus de cent ans, il n’est pas nécessaire de s’y attarder plus longtemps. Par contre, la deuxième voie, qui n’a jamais été essayée, et qui est dans une certaine impasse depuis la défaite de 1995, est plus intéressante à discuter. Depuis une quarantaine d’année, soit depuis la publication d’Option Québec par René Lévesque, les deux principaux reproches politiques qui ont été fait au projet souverainiste sont : (1) à l’extérieur, que ce projet pourrait dresser le reste du Canada contre le Québec et (2) à l’intérieur, qu’il engendrerait l’instabilité en créant de toutes pièces un nouveau type de régime politique. Pour mitiger ces deux risques politiques les tenants de la thèse souverainiste seraient bien avisés, me semble-t-il, de s’inspirer du principe suivant que je vais expliquer : respecter les traditions politiques québécoises. L’application de ce principe pourrait en effet contribuer à atténuer, voire à réduire à néant, les risques mentionnés plus haut. La clé de voûte de la stabilité politique d’un Québec devenu indépendant serait ironiquement qu’il demeure une monarchie constitutionnelle ! Le régime parlementaire actuel a fait ses preuves, les Québécois le connaissent parfaitement bien et, même s’il est perfectible, il serait prudent de le conserver afin d’assurer à la nation nouvellement souveraine toute la stabilité intérieure nécessaire à ses premiers pas sur la scène internationale. Mais, l’avantage le plus important que pourrait procurer la monarchie constitutionnelle au Québec proviendrait de sa reconnaissance officielle par la couronne britannique et du fait qu’il deviendrait un membre à part entière du Commonwealth. De cette manière la stabilité intérieure et extérieure du Québec serait assurée[13]. Les Québécois pourraient enfin parler franchement de leurs amis Canadiens puisqu’ils feraient réellement partie de la même association d’États. Le Québec serait donc un pays indépendant, mais reconnaîtrait la même autorité supérieure que le Canada. Cette autorité supérieure serait garante de la paix entre les deux nations et de véritables négociations, comme René Lévesque l’aurait peut-être souhaité, pourraient s’enclencher et conduire à une nouvelle définition du Canada comme ensemble d’États associés. Ce qui signifierait que la nation québécoise s’unirait à la nation canadienne dans une fédération d’État indépendants, un peu comme les nations européennes sont unies dans l’Europe actuelle. La souveraineté du Québec serait donc accomplie sans créer de nouvelles divisions.

Il faut bien reconnaître avec Tocqueville que l’histoire du Québec appelle la guérison d’une vieille blessure. À la sortie d’un procès « bilingue » auquel il venait d’assister à Québec et où on ne se comprenait qu’à moitié, il dit à son ami Beaumont : « Je n’ai jamais été plus convaincu qu’en sortant de là que le plus grand et le plus irrémédiable malheur pour un peuple, c’est d’être conquis.[14]» Tocqueville en vint même à penser que ce qui manquait le plus aux Canadiens français, c’était un véritable homme politique qui lutterait sans relâche pour leur indépendance. « Un homme de génie, dit-il, qui comprendrait, sentirait et serait capable de développer les passions nationales du peuple aurait ici un admirable rôle à jouer. » Nous attendons encore cet homme... ou cette femme.

VÉRITÉ – DEVOIR – VAILLANCE


Bibliographie

BELLAVANCE, Marcel. Le Québec au siècle des nationalités. Essai d’histoire comparée. VLB Éditeur, Montréal, 2004
BOIVIN, Simon, « Québec doit exploiter son pétrole, dit Marois », Le Soleil, www.cyberpresse.ca/le-soleil/ , 21 août 2008.
GOBINEAU, Arthur de, Essai sur l’inégalité des races humaines, Œuvres, tome I, édition de Jean Gaulmier, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1983.
IMBEAULT, Marc, « L’exportation des valeurs canadiennes. Réflexion sur la guerre en Afghanistan », www.phigeo.blogspot.com, 2007.
IMBEAULT, Marc, MONTIFROY, Gérard, Géopolitique & Économies : de rivalités économiques en conflits géopolitiques. Frison-Roche, Paris, 1997.
IMBEAULT, Marc, MONTIFROY, Gérard, Géopolitique & Idéologie : des rêves éclatés aux questions du futur. Frison-Roche, Paris, 1996.
IMBEAULT, Marc et TROTTIER, Yves, Limites de la violence, publié en collaboration avec Yves Trottier, Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy, 2006.
JARDIN, André, Alexis de Tocqueville 1805-1859, Hachette, Paris, 1984.
LÉVESQUE, René, Option Québec, Éditions de L’Homme, Montréal, 1968.
MARX, Karl, Contribution à la critique de l’économie politique, Les Éditions du Progrès, Moscou, 1978.
MACHIAVEL, Le Prince, dans Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1952.
MACHIAVEL, Le Prince, préface de Raymond Aron, Le Livre de Poche, Paris, 1972. TOCQUEVILLE, Alexis de, Correspondance d'Alexis de Tocqueville et d'Arthur de Gobineau, Œuvres Complètes, tome 9, texte établi et annoté par M. Degros ; introduction par J.-J. Chevallier ; avertissement de J.-P. Mayer, 5e éd., Gallimard, Paris, 1959.
TOCQUEVILLE, Alexis de, De la démocratie en Amérique, édition de A. Jardin, Gallimard, Paris, 1986.

Notes


[1] L’expression a été utilisée au sujet du Québec par l’historien Marcel Bellavance dans Le Québec au siècle des nationalités. Essai d’histoire comparée. VLB Éditeur, Montréal, 2004.
[2] Tocqueville, Alexis de, Correspondance d’Alexis de Tocqueville et d’Arthur de Gobineau, dans Œuvres Complètes, tome IX, édition de J.P. Mayer, Gallimard, 1959.
[3] Arthur de Gobineau, Essai sur l’inégalité des races humaines, Œuvres, tome I, édition de Jean Gaulmier, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1983.
[4] Gobineau, Avant-propos de la deuxième édition de l’Essai sur l’inégalité des races humaines de 1877, cité dans Œuvres, tome I, p. 1458.
[5] Par exemple : Charles Dunoyer dans L’Industrie et la Morale dans leur rapports avec la Liberté : « Ce sont les peuples, en thèse générale, qui sont les responsables directs de ce qui se fait dans leur sein », cité en note par Jean Gaulmier, Cf. Essai, p. 1292.
[6] Gobineau, Arthur de, Essai sur l’inégalité des races humaines, Livre I, chapitre IV, dans Œuvres, tome 1, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1983, p.161.
[7] La première édition de l’Essai date de 1853.
[8] Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Les Éditions du Progrès, Moscou, 1978, Préface, p.5-6.
[9] Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961, p.33
[10] Ibid.
[11] Sur ce sujet on pourra consulter le texte de ma conférence intitulée « L’exportation des valeurs canadiennes. Réflexion sur la guerre en Afghanistan » et prononcée au Collège militaire royal de Saint-Jean lors du colloque : Le nouveau champs de bataille, en 2007, à l’adresse suivante : www.phigeo.blogspot.com.
[12] Cf. www.cyberpresse.ca/le-Soleil/, le 21 août 2008. [13] Sur la nécessité d’assurer la stabilité intérieure et extérieure de la politique des États qui acquièrent leur indépendance, on pourra lire notre analyse du cas algérien en regard de la révision du statut politique du Québec dans le chapitre intitulé : « Sous le soleil algérien : l’insoutenable violence des extrêmes », Limites de la violence, publié en collaboration avec Yves Trottier, Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy, 2006, pp.125-138. [14] Lettre à l’abbé Lesueur, 7 septembre 1831, citée par André Jardin, Alexis de Tocqueville 1805-1859, p.139.

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