La noblesse des fins
La torture dans l’éthique du contre-terrorisme
Marc Imbeault, Collège militaire royal du Canada
« Laissons donc de côté toutes les imaginations qui se sont faites à propos des princes, et ne voyons que les réalités. »
Nicolas Machiavel, Le Prince, XV
La problématique à l’origine de cette présentation peut se résumer à la question suivante : « Que valent les justifications morales de l’usage de la torture dans la lutte contre le terrorisme ? » L’ennemi auquel fait face l’Occident a clairement énoncé qu’il ne reculerait devant aucun moyen pour atteindre ses fins. Oussama Ben Laden a explicitement menacé de détruire l’Amérique dans un message vidéo diffusé juste après les attentats du 11 septembre 2001. Les nombreuses attaques qui ont suivi montrent que cet avertissement doit être pris au sérieux. Ce serait donc une grave erreur de minimiser la menace qui pèse sur l’Amérique, et sur l’Occident en général, pour s’opposer aux mesures de sécurités exceptionnelles adoptées par les pays occidentaux après le 11 septembre.
Les organisations terroristes n’hésitent pas à justifier l’usage des moyens les plus violents et n’ont aucun respect pour les droits humains les plus fondamentaux : pour eux la fin justifie les moyens[1]. Le problème est de savoir si les pays occidentaux, notamment les États-Unis, sont justifiés d’adopter une attitude comparable et d’utiliser des moyens que la morale réprouve comme la désinformation, le mensonge, la corruption ou la torture pour se défendre. Nous allons nous limiter ici à un seul aspect de cette problématique, celui de l’usage de la torture pendant l’interrogatoire des personnes suspectées de terrorisme.
Je laisserai pour le moment de côté les définitions juridiques de la torture. La discussion de ces définitions peut être utile et importante mais elle ne concerne pas l’éthique en tant que telle. Les principes éthiques surplombent, si l’on peut dire, les principes juridiques et leur champ d’application est plus vaste. J’utiliserai donc le mot torture dans le contexte des séances d’interrogatoires où l’on inflige à quelqu’un des souffrances physiques ou morales dans le but d’obtenir des informations importantes.
1. La justification éthique de l’usage de la torture dans le contre-terrorisme
Les justifications de la torture tournent généralement autour du caractère exceptionnel et de l’urgence de la situation.
a) L’exception
Le caractère exceptionnel de la lutte contre le terrorisme s’exprime à deux niveaux. Le premier niveau concerne l’individu qui adhère à une organisation terroriste. Le second niveau concerne la situation globale créée par l’usage de la terreur.
En adhérant à une organisation terroriste, un individu se place dans une situation exceptionnelle où les droits reconnus habituellement aux prisonniers de guerre ne peuvent pas s’appliquer. Les terroristes ne font pas partie d’une armée régulière et leur fonctionnement s’apparentent plus à celui des espions que des soldats[2]. C’est pourquoi les terroristes ne seraient pas des combattants au sens où on l’entend habituellement dans les traités et les conventions qui bannissent la torture. Il serait donc normal qu’ils soient traités différemment des autres combattants lorsqu’ils sont faits prisonnier. D’après cette approche, le type d’action mené par les terroristes – les attentats – les excluent de facto de la protection des traités comme les conventions de Genève. Mais, par ailleurs, ce même type d’action justifie qu’ils ne puissent bénéficier des protections légales normalement accordées aux citoyens dans un état de droit. Ce serait donc le terrorisme lui-même qui créerait le contexte global permettant de suspendre les droits des suspects. Les personnes suspectées de faire partie – ou d’aider de quelque manière que ce soit – le terrorisme ne font pour ainsi dire plus partie de l’humanité. Il est donc possible – et même nécessaire parfois – de les torturer si cela permet d’obtenir des informations.
b) L’urgence
La prévention des attentats terroristes s’inscrit aussi dans l’urgence. Il peut arriver que les enquêteurs ne disposent pas de beaucoup de temps pour interroger un suspect et que l’on juge que le seul moyen d’obtenir rapidement de l’information soit le recours à la torture. L’exemple le plus souvent discuté est celui de la bombe sur le point d’exploser (ticking-time bomb). Dans un cas comme celui-là, une grave menace dont l’exécution est imminente justifierait clairement le recours à la torture. Il est en effet important de prévenir l’explosion d’une bombe pouvant tuer des milliers de personnes…
Plusieurs auteurs se placent du point de vue de l’exception et de l’urgence pour justifier la torture. Je discuterai ici le texte d’un représentant caractéristique de cette tendance : « An ethical Defense of Torture in Interrogation.[3] » de Fritz Allhoff. Dans la foulée de Michael Levin et Alan Dershowitz qui justifie la torture lorsque c’est le seul moyen d’éviter une menace grave et éminente, Allhoff propose une réflexion sur les conditions qui peuvent justifier moralement le recours à cette pratique[4].
Dans son article, Allhoff soutient d’abord que la torture doit être située dans la perspective du dilemme entre les droits des personnes interrogées et ceux que l’on essaie de protéger. Pour illustrer son idée, Allhoff nous demande d’imaginer un policier se trouvant face à un gangster sur le point de tuer les cinq témoins de l’un de ses crimes. Le policier serait justifié de faire feu sur le gangster pour sauver les témoins, les droits du gangster ne faisant pas le poids face aux droits de ceux-ci. Cet exemple illustre bien d’après Allhoff le fait qu’il faille parfois violer un droit pour en défendre un autre. D’après lui, il en est de même dans le cas des droits des suspects de terrorisme par rapport aux droits de leurs victimes potentielles.
" Par conséquent, je pense que l’on pourrait avoir de solides raisons de soutenir que la torture pourrait être justifiée, même si cela entraine une violation des droits, pour autant que l’on se trouve dans une situation telle que des droits finiront par être violés que la torture ait lieu ou non. Étant donné que dans ce genre de situations, il y aura de toute façon une violation des droits, on pourrait aussi bien se mettre au service du plus grand bien ou essayer de minimiser, au total, la violation des droits […]. Chacun de ces objectifs suggère que l’on ait le droit d’utiliser la torture."[5]
Une fois que la torture en général est justifiée comme un moindre mal dans certaines circonstances[6], Allhoff se demande dans quelles conditions elle peut être utilisée précisément. Il en identifie quatre qui, si elles sont toutes satisfaites, pourraient justifier de torturer un suspect pour obtenir des informations. Voici comment il en résume lui-même la teneur :
"Je pense que les conditions nécessaires pour justifier la torture sont les suivantes : l’utilisation de la torture vise à acquérir des renseignements, il est raisonnable de penser que le prisonnier possède des renseignements pertinents, ces renseignements correspondent à une menace importante et imminente, et il est probable que ces renseignements puissent permettre de prévenir cette menace. Si chacune de ces quatre conditions est satisfaite, alors la torture peut être moralement acceptable."[7]
Pour pouvoir affirmer que la torture est légitime, il faudrait donc l’utiliser uniquement pour obtenir des informations importantes permettant de prévenir un attentat imminent. Il est aussi précisé qu’il faut avoir de bonnes raisons de croire que le suspect qui sera torturé possède bel et bien les dites informations. Allhoff conclut ce développement en décrivant un exemple paradigmatique :
"Par exemple, imaginez que nous venions de capturer un responsable de haut rang au sein d’un groupe terroriste connu internationalement et que nos renseignements aient révélé que ce groupe a mis une bombe dans un immeuble de bureau très fréquenté qui va probablement exploser le lendemain. Cette explosion va entrainer des pertes civiles et des coûts économiques considérables. Nous disposons d’une équipe de déminage prête à se rendre sur place dès que l’on connaîtra l’endroit, et ils ont largement le temps de désarmer la bombe avant son explosion. Nous avons demandé à ce responsable où se trouvait la bombe mais il a refusé de le dire. Compte tenu des circonstances (qui satisfont chacun des mes quatre critères), je pense qu’il serait justifiable de le torturer pour connaître l’endroit où la bombe a été placée."[8]
Après avoir déterminé à quelles conditions l’usage de la torture est justifiée, il ne reste plus qu’à préciser quel type de torture sera acceptable. Le principe qui guide ici Allhoff est qu’il ne faut pas user de moyens exagérés. Il soutient, par exemple, que si le fait de priver quelqu’un d’un repas suffit à le faire parler, il n’est pas nécessaire – pas moralement acceptable – de lui arracher les ongles… Le reste est à l’avenant.
2. Les dérives de la connaissance abstraite
Le type d’argumentation proposée par Allhoff à l’intérêt de mette en évidence le dilemme devant lequel peuvent se trouver placé les dirigeants politiques actuels en Occident. Par contre, la méthode qu’il utilise ne permet pas de conclure quoi que se soit sur la moralité de la torture. Cette méthode est fondée essentiellement sur l’imagination et n’a de validité que dans un monde abstrait où le théoricien peut définir les données à son gré, sans faire référence à des événements historiques réellement survenus autrement que sous forme anecdotique. Non pas que l’anecdote n’ait aucune valeur, elle peut au contraire attirer l’attention sur un aspect important d’un problème et, en ce sens, jouer un rôle heuristique non négligeable.
Les scénarios abstraits ont aussi l’inconvénient de prendre en quelque sorte la pensée « au piège » et de l’amener de force à des conclusions qui vont à l’encontre des intuitions les plus fondamentales, comme la révulsion que nous éprouvons au sujet de l’usage de la torture. Pour revenir aux exemples proposés par Allhoff, il est évidemment difficile de dire que l’on refusera à un agent de police de tirer sur un gangster sur le point d’assassiner lâchement cinq personnes innocentes. Il est également difficile de prétendre vouloir qu’un terroriste de haut rang ne soit pas torturé s’il possède des informations cruciales pouvant prévenir des attentats de grandes envergures. Pourtant, ces exemples, bien qu’il soit possible de les imaginer, ne correspondent pas à grand chose dans la réalité. Le raisonnement de Allhoff est donc valide du point de vue de la logique pure, mais plutôt fragile pour l’éthique appliquée. Il suppose en effet que nous connaissions a priori (avant le fait) ce que nous ne connaissons en réalité qu’a posteriori (après le fait). Nous sommes confrontés régulièrement à cette confusion lorsqu’on entend dire que tel ou tel incident aurait pu – et donc aurait dû – être évité. On reproche souvent aux autorités policières de ne pas avoir procédé à l’arrestation d’un criminel avant qu’il ne commette son crime. Mais on reproche tout aussi souvent aux mêmes policiers d’abuser de leur force en procédant à des arrestations arbitraires… La vérité est qu’on ne peut pas arrêter toutes les personnes risquant de commettre un crime. (C’est-à-dire peut-être tout le monde ?) C’est pourquoi le travail des services de sécurité ressemble plus souvent à un art qu’à une science. Baser des considérations éthiques sur une « expérience de pensée » qui relève plus de l’imaginaire que du réel semble donc une aventure risquée, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique[9].
Prenons un exemple concret que tout le monde connaît et qui a l’avantage d’être réel : celui des attentats du 11 septembre 2001. Une fois qu’ils ont eu lieu, on peut démonter assez facilement qu’ils auraient pu être évité et s’en prendre aux services de sécurité américain en les traitant d’incompétents, de stupides ou de naïfs. Cela est tellement vrai que certains propagandistes soutiennent que les attentats ont été voulus par les autorités américaines elles-mêmes. Il était en effet tellement facile de les empêcher qu’on ne s’explique pas qu’ils aient pu avoir lieu autrement qu’avec la complicité de la CIA ou du FBI ! Mais, il faut faire attention ici à ne pas confondre ce qui est possible et ce qui est réel. La possibilité d’une chose n’en fait pas une réalité : la possibilité qu’une chose soit, n’implique pas qu’elle existe nécessairement. La possibilité qu’Al Quaïda complote pour faire tomber les tours du World Trade Center était sérieuse, mais le fait que certaines personnes suivent des cours de pilotage sans s’intéresser aux manœuvres d’atterrissage n’était pas, avant le 11 septembre 2001, une raison suffisante de procéder à leurs arrestations. Il ne faut pas oublier que c’est essentiellement le caractère inédit de l’attaque et donc l’effet de surprise qui a été à l’origine de la réussite de cette opération. La même attaque aujourd’hui ne serait probablement plus possible du simple fait que les passagers d’un avion détournés ne réagissent plus comme ils réagissaient à cette époque à une tentative de détournement, et cela précisément en raison des attentats du 11 septembre.
Mais même si la torture est injustifiable moralement, ne pourrait-on pas soutenir qu’elle peut l’être politiquement en admettant – et c’est une thèse à laquelle je souscris – que la sphère du politique est distincte de celle de la morale.
Le rejet de la torture en dehors de la morale, ne veut pas dire que les États doivent automatiquement en empêcher la pratique. Il n’est pas possible en effet de réduire l’activité politique uniquement à la morale. Il y a des impératifs spécifiquement politiques qui permettent d’examiner différemment l’usage de la torture et, de manière générale, l’usage des autres procédés que la morale réprouve comme le mensonge, la désinformation ou la corruption. C’est de ce point de vue que voudrais conclure cette réflexion afin de mettre en perspective ce que nous venons d’avancer du point de vue moral.
3. La violence : essence du politique ?
Examiner la question de la torture du point de vue politique veut dire qu’on en évalue la pertinence en termes de coûts et de bénéfices pour la collectivité. La torture peut alors faire partie des moyens dont use le pouvoir pour arriver à ses fins. La violence n’est-elle pas au cœur du politique [10]? Il y a véritablement un paradoxe entre le moyen et la fin spécifiques du politique : entre la paix ou la concorde qui est le but de la politique et la violence dont elle use pour l’atteindre[11]. Le prince, disait déjà Machiavel, doit apprendre « à savoir être méchant, et recourir à cet art ou non, selon les nécessités »[12]. Il doit être tantôt lion, tantôt renard, ce qui veut dire qu’il doit user avec sagesse de la force et de la ruse en fonction des circonstances.
Tirant des leçons du passé, Adam Roberts résume bien la situation actuelle dans le passage suivant :
« Toutes les sociétés rencontrent des difficultés lorsqu’elles combattent un ennemi invisible et brutal, susceptible d’avoir de nombreux sympathisants secrets. Dans ce genre de circonstances, la plupart des États, même démocratiques, recourent à une forme de détention sans jugement. Celle-ci comporte des risques importants. Premièrement, celui d’arrêter et de détenir les mauvaises personnes ; deuxièmement, celui de maltraiter les détenus. Dans les deux cas, on risque de créer des martyrs et d’alimenter le terrorisme. [13]
Comme on le voit ici, l’analyse de la torture gagne à être située dans une perspective historique. Or Alfred McCoy démontre de manière convaincante dans son livre intitulé A question of Torture[14] que cette pratique ne peut donner de résultats significatifs qu’à grande échelle. Le cas de la bataille d’Alger est bien connu. L’armée et les services de renseignement français ont procédé en 1957 à la torture de milliers de personnes de cette capitale et réussi à obtenir suffisamment d’informations valides pour réduire à néant les tentatives d’attentats des organisations terroristes qui y sévissaient à l’époque. C’est par le recoupement des informations obtenues en torturant que ce résultat a été atteint. Il aurait sans doute été possible d’y arriver autrement mais cela aurait exigé le travail d’interrogateurs talentueux, bien formés et cultivés alors que des exécutants aux capacités très ordinaires se sont révélées suffisants pour manier les techniques ancestrales qui caractérisent les interrogatoires dits « musclés. » De ce point de vue, l’usage de la torture est tentant et semble, au moins à première vue, être relativement peu coûteux.
Mais pour évaluer correctement le prix de la torture, il faut tenir compte de son coût à court et à long terme. À court terme, à l’exception des médecins qui peuvent superviser le processus et empêcher les décès trop rapides, la torture peut être exécutée par du personnel peu qualifié avec des instruments bon marché – la célèbre « gégène » par exemple. Le coût de la torture est ainsi relativement bas si on le compare à ce qu’il en coûte pour former des analystes et des interrogateurs de hauts niveaux qui n’usent pas de ce moyen pour obtenir des informations. Il ne faut cependant pas oublier que la torture à un coût élevé du point de vue politique. À long terme, son usage peut avoir des conséquences considérables sur les troupes du pays qui la pratique, sur celles de l’ennemi, et sur l’opinion.
Commençons par les troupes du pays concerné. Il est inutile d’autoriser la torture seulement à quelques individus, pour une période de temps et avec des méthodes limitées. De telles autorisations ont invariablement signifié la généralisation rapide de la torture à la grandeur des systèmes de sécurité, sans quoi elle n’est pas efficace. Or, la généralisation de l’usage de la torture a un effet dévastateur sur les troupes, le principal problème étant que l’ennemi n’étant plus considéré comme un être humain est d’abord méprisé, puis inévitablement sous-estimé. Ce qui est l’une des pires catastrophes qui puissent affecter une organisation combattante.
Chez l’ennemi, l’usage de la torture intensifie le processus de fanatisation qui alimente la guerre. Il est en effet facile de comprendre la réaction d’un peuple dont les « enfants » sont torturés. Dans le cas de la bataille d’Alger, la torture a eu pour conséquence d’aggraver dramatiquement le ressentiment des Algériens envers tous les Français et rompu les derniers canaux de communications qui auraient peut-être pu mener à une solution négociée et modérée[15].
C’est sur l’opinion enfin que les conséquences de l’usage de la torture sont les plus grave. L’opinion favorable dont bénéficiait l’Amérique dans le monde après les attentats du 11 septembre a fait place à de la méfiance, voire à de la haine, depuis que les sévices subis par les prisonniers de Guantanamo à Cuba et d’Abu Grahib en Irak sont connus. Il n’est pas si facile de contrôler l’opinion, et même en dépensant des millions de dollars, l’Amérique à de la difficulté à refaire son image. Il en a été de même pour la France après la bataille d’Alger. Encore aujourd’hui, le déshonneur des tortionnaires français nuit à la réputation de ce pays.
La torture ne peut donc pas être exclue de l’arsenal politique mais il faut en souligner le coût très élevé à moyen et long terme. Le fait que les techniques utilisées n’obligent pas de dépenses excessives masque le coût élevé associé aux conséquences politiques de son usage. C’est pourquoi, même du point de vue strictement politique, la torture n’est pas recommandable. Le premier grand spécialiste du contre-terrorisme, Joseph Fouché, duc d’Otrante et chef de la police sous Napoléon, la déconseille d’ailleurs explicitement. Par contre, l’idéalisme pur, pas plus que le réalisme cynique, ne peut efficacement mener à la victoire. Il faut savoir manier les deux et garder la mesure. Des systèmes de sécurité uniquement animés par un humanisme béat seraient rapidement contournés par l’ennemi et ils ne seraient pas en mesure de voir venir les menaces et de les écarter. Il faut donc trouver une voie médiane entre les deux extrêmes que serait une politique totalement dénuée de principes moraux et une politique totalement dénuée de souplesse.
Saint-Jean-sur-Richelieu, novembre 2006
Marc Imbeault, Collège militaire royal du Canada
« Laissons donc de côté toutes les imaginations qui se sont faites à propos des princes, et ne voyons que les réalités. »
Nicolas Machiavel, Le Prince, XV
La problématique à l’origine de cette présentation peut se résumer à la question suivante : « Que valent les justifications morales de l’usage de la torture dans la lutte contre le terrorisme ? » L’ennemi auquel fait face l’Occident a clairement énoncé qu’il ne reculerait devant aucun moyen pour atteindre ses fins. Oussama Ben Laden a explicitement menacé de détruire l’Amérique dans un message vidéo diffusé juste après les attentats du 11 septembre 2001. Les nombreuses attaques qui ont suivi montrent que cet avertissement doit être pris au sérieux. Ce serait donc une grave erreur de minimiser la menace qui pèse sur l’Amérique, et sur l’Occident en général, pour s’opposer aux mesures de sécurités exceptionnelles adoptées par les pays occidentaux après le 11 septembre.
Les organisations terroristes n’hésitent pas à justifier l’usage des moyens les plus violents et n’ont aucun respect pour les droits humains les plus fondamentaux : pour eux la fin justifie les moyens[1]. Le problème est de savoir si les pays occidentaux, notamment les États-Unis, sont justifiés d’adopter une attitude comparable et d’utiliser des moyens que la morale réprouve comme la désinformation, le mensonge, la corruption ou la torture pour se défendre. Nous allons nous limiter ici à un seul aspect de cette problématique, celui de l’usage de la torture pendant l’interrogatoire des personnes suspectées de terrorisme.
Je laisserai pour le moment de côté les définitions juridiques de la torture. La discussion de ces définitions peut être utile et importante mais elle ne concerne pas l’éthique en tant que telle. Les principes éthiques surplombent, si l’on peut dire, les principes juridiques et leur champ d’application est plus vaste. J’utiliserai donc le mot torture dans le contexte des séances d’interrogatoires où l’on inflige à quelqu’un des souffrances physiques ou morales dans le but d’obtenir des informations importantes.
1. La justification éthique de l’usage de la torture dans le contre-terrorisme
Les justifications de la torture tournent généralement autour du caractère exceptionnel et de l’urgence de la situation.
a) L’exception
Le caractère exceptionnel de la lutte contre le terrorisme s’exprime à deux niveaux. Le premier niveau concerne l’individu qui adhère à une organisation terroriste. Le second niveau concerne la situation globale créée par l’usage de la terreur.
En adhérant à une organisation terroriste, un individu se place dans une situation exceptionnelle où les droits reconnus habituellement aux prisonniers de guerre ne peuvent pas s’appliquer. Les terroristes ne font pas partie d’une armée régulière et leur fonctionnement s’apparentent plus à celui des espions que des soldats[2]. C’est pourquoi les terroristes ne seraient pas des combattants au sens où on l’entend habituellement dans les traités et les conventions qui bannissent la torture. Il serait donc normal qu’ils soient traités différemment des autres combattants lorsqu’ils sont faits prisonnier. D’après cette approche, le type d’action mené par les terroristes – les attentats – les excluent de facto de la protection des traités comme les conventions de Genève. Mais, par ailleurs, ce même type d’action justifie qu’ils ne puissent bénéficier des protections légales normalement accordées aux citoyens dans un état de droit. Ce serait donc le terrorisme lui-même qui créerait le contexte global permettant de suspendre les droits des suspects. Les personnes suspectées de faire partie – ou d’aider de quelque manière que ce soit – le terrorisme ne font pour ainsi dire plus partie de l’humanité. Il est donc possible – et même nécessaire parfois – de les torturer si cela permet d’obtenir des informations.
b) L’urgence
La prévention des attentats terroristes s’inscrit aussi dans l’urgence. Il peut arriver que les enquêteurs ne disposent pas de beaucoup de temps pour interroger un suspect et que l’on juge que le seul moyen d’obtenir rapidement de l’information soit le recours à la torture. L’exemple le plus souvent discuté est celui de la bombe sur le point d’exploser (ticking-time bomb). Dans un cas comme celui-là, une grave menace dont l’exécution est imminente justifierait clairement le recours à la torture. Il est en effet important de prévenir l’explosion d’une bombe pouvant tuer des milliers de personnes…
Plusieurs auteurs se placent du point de vue de l’exception et de l’urgence pour justifier la torture. Je discuterai ici le texte d’un représentant caractéristique de cette tendance : « An ethical Defense of Torture in Interrogation.[3] » de Fritz Allhoff. Dans la foulée de Michael Levin et Alan Dershowitz qui justifie la torture lorsque c’est le seul moyen d’éviter une menace grave et éminente, Allhoff propose une réflexion sur les conditions qui peuvent justifier moralement le recours à cette pratique[4].
Dans son article, Allhoff soutient d’abord que la torture doit être située dans la perspective du dilemme entre les droits des personnes interrogées et ceux que l’on essaie de protéger. Pour illustrer son idée, Allhoff nous demande d’imaginer un policier se trouvant face à un gangster sur le point de tuer les cinq témoins de l’un de ses crimes. Le policier serait justifié de faire feu sur le gangster pour sauver les témoins, les droits du gangster ne faisant pas le poids face aux droits de ceux-ci. Cet exemple illustre bien d’après Allhoff le fait qu’il faille parfois violer un droit pour en défendre un autre. D’après lui, il en est de même dans le cas des droits des suspects de terrorisme par rapport aux droits de leurs victimes potentielles.
" Par conséquent, je pense que l’on pourrait avoir de solides raisons de soutenir que la torture pourrait être justifiée, même si cela entraine une violation des droits, pour autant que l’on se trouve dans une situation telle que des droits finiront par être violés que la torture ait lieu ou non. Étant donné que dans ce genre de situations, il y aura de toute façon une violation des droits, on pourrait aussi bien se mettre au service du plus grand bien ou essayer de minimiser, au total, la violation des droits […]. Chacun de ces objectifs suggère que l’on ait le droit d’utiliser la torture."[5]
Une fois que la torture en général est justifiée comme un moindre mal dans certaines circonstances[6], Allhoff se demande dans quelles conditions elle peut être utilisée précisément. Il en identifie quatre qui, si elles sont toutes satisfaites, pourraient justifier de torturer un suspect pour obtenir des informations. Voici comment il en résume lui-même la teneur :
"Je pense que les conditions nécessaires pour justifier la torture sont les suivantes : l’utilisation de la torture vise à acquérir des renseignements, il est raisonnable de penser que le prisonnier possède des renseignements pertinents, ces renseignements correspondent à une menace importante et imminente, et il est probable que ces renseignements puissent permettre de prévenir cette menace. Si chacune de ces quatre conditions est satisfaite, alors la torture peut être moralement acceptable."[7]
Pour pouvoir affirmer que la torture est légitime, il faudrait donc l’utiliser uniquement pour obtenir des informations importantes permettant de prévenir un attentat imminent. Il est aussi précisé qu’il faut avoir de bonnes raisons de croire que le suspect qui sera torturé possède bel et bien les dites informations. Allhoff conclut ce développement en décrivant un exemple paradigmatique :
"Par exemple, imaginez que nous venions de capturer un responsable de haut rang au sein d’un groupe terroriste connu internationalement et que nos renseignements aient révélé que ce groupe a mis une bombe dans un immeuble de bureau très fréquenté qui va probablement exploser le lendemain. Cette explosion va entrainer des pertes civiles et des coûts économiques considérables. Nous disposons d’une équipe de déminage prête à se rendre sur place dès que l’on connaîtra l’endroit, et ils ont largement le temps de désarmer la bombe avant son explosion. Nous avons demandé à ce responsable où se trouvait la bombe mais il a refusé de le dire. Compte tenu des circonstances (qui satisfont chacun des mes quatre critères), je pense qu’il serait justifiable de le torturer pour connaître l’endroit où la bombe a été placée."[8]
Après avoir déterminé à quelles conditions l’usage de la torture est justifiée, il ne reste plus qu’à préciser quel type de torture sera acceptable. Le principe qui guide ici Allhoff est qu’il ne faut pas user de moyens exagérés. Il soutient, par exemple, que si le fait de priver quelqu’un d’un repas suffit à le faire parler, il n’est pas nécessaire – pas moralement acceptable – de lui arracher les ongles… Le reste est à l’avenant.
2. Les dérives de la connaissance abstraite
Le type d’argumentation proposée par Allhoff à l’intérêt de mette en évidence le dilemme devant lequel peuvent se trouver placé les dirigeants politiques actuels en Occident. Par contre, la méthode qu’il utilise ne permet pas de conclure quoi que se soit sur la moralité de la torture. Cette méthode est fondée essentiellement sur l’imagination et n’a de validité que dans un monde abstrait où le théoricien peut définir les données à son gré, sans faire référence à des événements historiques réellement survenus autrement que sous forme anecdotique. Non pas que l’anecdote n’ait aucune valeur, elle peut au contraire attirer l’attention sur un aspect important d’un problème et, en ce sens, jouer un rôle heuristique non négligeable.
Les scénarios abstraits ont aussi l’inconvénient de prendre en quelque sorte la pensée « au piège » et de l’amener de force à des conclusions qui vont à l’encontre des intuitions les plus fondamentales, comme la révulsion que nous éprouvons au sujet de l’usage de la torture. Pour revenir aux exemples proposés par Allhoff, il est évidemment difficile de dire que l’on refusera à un agent de police de tirer sur un gangster sur le point d’assassiner lâchement cinq personnes innocentes. Il est également difficile de prétendre vouloir qu’un terroriste de haut rang ne soit pas torturé s’il possède des informations cruciales pouvant prévenir des attentats de grandes envergures. Pourtant, ces exemples, bien qu’il soit possible de les imaginer, ne correspondent pas à grand chose dans la réalité. Le raisonnement de Allhoff est donc valide du point de vue de la logique pure, mais plutôt fragile pour l’éthique appliquée. Il suppose en effet que nous connaissions a priori (avant le fait) ce que nous ne connaissons en réalité qu’a posteriori (après le fait). Nous sommes confrontés régulièrement à cette confusion lorsqu’on entend dire que tel ou tel incident aurait pu – et donc aurait dû – être évité. On reproche souvent aux autorités policières de ne pas avoir procédé à l’arrestation d’un criminel avant qu’il ne commette son crime. Mais on reproche tout aussi souvent aux mêmes policiers d’abuser de leur force en procédant à des arrestations arbitraires… La vérité est qu’on ne peut pas arrêter toutes les personnes risquant de commettre un crime. (C’est-à-dire peut-être tout le monde ?) C’est pourquoi le travail des services de sécurité ressemble plus souvent à un art qu’à une science. Baser des considérations éthiques sur une « expérience de pensée » qui relève plus de l’imaginaire que du réel semble donc une aventure risquée, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique[9].
Prenons un exemple concret que tout le monde connaît et qui a l’avantage d’être réel : celui des attentats du 11 septembre 2001. Une fois qu’ils ont eu lieu, on peut démonter assez facilement qu’ils auraient pu être évité et s’en prendre aux services de sécurité américain en les traitant d’incompétents, de stupides ou de naïfs. Cela est tellement vrai que certains propagandistes soutiennent que les attentats ont été voulus par les autorités américaines elles-mêmes. Il était en effet tellement facile de les empêcher qu’on ne s’explique pas qu’ils aient pu avoir lieu autrement qu’avec la complicité de la CIA ou du FBI ! Mais, il faut faire attention ici à ne pas confondre ce qui est possible et ce qui est réel. La possibilité d’une chose n’en fait pas une réalité : la possibilité qu’une chose soit, n’implique pas qu’elle existe nécessairement. La possibilité qu’Al Quaïda complote pour faire tomber les tours du World Trade Center était sérieuse, mais le fait que certaines personnes suivent des cours de pilotage sans s’intéresser aux manœuvres d’atterrissage n’était pas, avant le 11 septembre 2001, une raison suffisante de procéder à leurs arrestations. Il ne faut pas oublier que c’est essentiellement le caractère inédit de l’attaque et donc l’effet de surprise qui a été à l’origine de la réussite de cette opération. La même attaque aujourd’hui ne serait probablement plus possible du simple fait que les passagers d’un avion détournés ne réagissent plus comme ils réagissaient à cette époque à une tentative de détournement, et cela précisément en raison des attentats du 11 septembre.
Mais même si la torture est injustifiable moralement, ne pourrait-on pas soutenir qu’elle peut l’être politiquement en admettant – et c’est une thèse à laquelle je souscris – que la sphère du politique est distincte de celle de la morale.
Le rejet de la torture en dehors de la morale, ne veut pas dire que les États doivent automatiquement en empêcher la pratique. Il n’est pas possible en effet de réduire l’activité politique uniquement à la morale. Il y a des impératifs spécifiquement politiques qui permettent d’examiner différemment l’usage de la torture et, de manière générale, l’usage des autres procédés que la morale réprouve comme le mensonge, la désinformation ou la corruption. C’est de ce point de vue que voudrais conclure cette réflexion afin de mettre en perspective ce que nous venons d’avancer du point de vue moral.
3. La violence : essence du politique ?
Examiner la question de la torture du point de vue politique veut dire qu’on en évalue la pertinence en termes de coûts et de bénéfices pour la collectivité. La torture peut alors faire partie des moyens dont use le pouvoir pour arriver à ses fins. La violence n’est-elle pas au cœur du politique [10]? Il y a véritablement un paradoxe entre le moyen et la fin spécifiques du politique : entre la paix ou la concorde qui est le but de la politique et la violence dont elle use pour l’atteindre[11]. Le prince, disait déjà Machiavel, doit apprendre « à savoir être méchant, et recourir à cet art ou non, selon les nécessités »[12]. Il doit être tantôt lion, tantôt renard, ce qui veut dire qu’il doit user avec sagesse de la force et de la ruse en fonction des circonstances.
Tirant des leçons du passé, Adam Roberts résume bien la situation actuelle dans le passage suivant :
« Toutes les sociétés rencontrent des difficultés lorsqu’elles combattent un ennemi invisible et brutal, susceptible d’avoir de nombreux sympathisants secrets. Dans ce genre de circonstances, la plupart des États, même démocratiques, recourent à une forme de détention sans jugement. Celle-ci comporte des risques importants. Premièrement, celui d’arrêter et de détenir les mauvaises personnes ; deuxièmement, celui de maltraiter les détenus. Dans les deux cas, on risque de créer des martyrs et d’alimenter le terrorisme. [13]
Comme on le voit ici, l’analyse de la torture gagne à être située dans une perspective historique. Or Alfred McCoy démontre de manière convaincante dans son livre intitulé A question of Torture[14] que cette pratique ne peut donner de résultats significatifs qu’à grande échelle. Le cas de la bataille d’Alger est bien connu. L’armée et les services de renseignement français ont procédé en 1957 à la torture de milliers de personnes de cette capitale et réussi à obtenir suffisamment d’informations valides pour réduire à néant les tentatives d’attentats des organisations terroristes qui y sévissaient à l’époque. C’est par le recoupement des informations obtenues en torturant que ce résultat a été atteint. Il aurait sans doute été possible d’y arriver autrement mais cela aurait exigé le travail d’interrogateurs talentueux, bien formés et cultivés alors que des exécutants aux capacités très ordinaires se sont révélées suffisants pour manier les techniques ancestrales qui caractérisent les interrogatoires dits « musclés. » De ce point de vue, l’usage de la torture est tentant et semble, au moins à première vue, être relativement peu coûteux.
Mais pour évaluer correctement le prix de la torture, il faut tenir compte de son coût à court et à long terme. À court terme, à l’exception des médecins qui peuvent superviser le processus et empêcher les décès trop rapides, la torture peut être exécutée par du personnel peu qualifié avec des instruments bon marché – la célèbre « gégène » par exemple. Le coût de la torture est ainsi relativement bas si on le compare à ce qu’il en coûte pour former des analystes et des interrogateurs de hauts niveaux qui n’usent pas de ce moyen pour obtenir des informations. Il ne faut cependant pas oublier que la torture à un coût élevé du point de vue politique. À long terme, son usage peut avoir des conséquences considérables sur les troupes du pays qui la pratique, sur celles de l’ennemi, et sur l’opinion.
Commençons par les troupes du pays concerné. Il est inutile d’autoriser la torture seulement à quelques individus, pour une période de temps et avec des méthodes limitées. De telles autorisations ont invariablement signifié la généralisation rapide de la torture à la grandeur des systèmes de sécurité, sans quoi elle n’est pas efficace. Or, la généralisation de l’usage de la torture a un effet dévastateur sur les troupes, le principal problème étant que l’ennemi n’étant plus considéré comme un être humain est d’abord méprisé, puis inévitablement sous-estimé. Ce qui est l’une des pires catastrophes qui puissent affecter une organisation combattante.
Chez l’ennemi, l’usage de la torture intensifie le processus de fanatisation qui alimente la guerre. Il est en effet facile de comprendre la réaction d’un peuple dont les « enfants » sont torturés. Dans le cas de la bataille d’Alger, la torture a eu pour conséquence d’aggraver dramatiquement le ressentiment des Algériens envers tous les Français et rompu les derniers canaux de communications qui auraient peut-être pu mener à une solution négociée et modérée[15].
C’est sur l’opinion enfin que les conséquences de l’usage de la torture sont les plus grave. L’opinion favorable dont bénéficiait l’Amérique dans le monde après les attentats du 11 septembre a fait place à de la méfiance, voire à de la haine, depuis que les sévices subis par les prisonniers de Guantanamo à Cuba et d’Abu Grahib en Irak sont connus. Il n’est pas si facile de contrôler l’opinion, et même en dépensant des millions de dollars, l’Amérique à de la difficulté à refaire son image. Il en a été de même pour la France après la bataille d’Alger. Encore aujourd’hui, le déshonneur des tortionnaires français nuit à la réputation de ce pays.
La torture ne peut donc pas être exclue de l’arsenal politique mais il faut en souligner le coût très élevé à moyen et long terme. Le fait que les techniques utilisées n’obligent pas de dépenses excessives masque le coût élevé associé aux conséquences politiques de son usage. C’est pourquoi, même du point de vue strictement politique, la torture n’est pas recommandable. Le premier grand spécialiste du contre-terrorisme, Joseph Fouché, duc d’Otrante et chef de la police sous Napoléon, la déconseille d’ailleurs explicitement. Par contre, l’idéalisme pur, pas plus que le réalisme cynique, ne peut efficacement mener à la victoire. Il faut savoir manier les deux et garder la mesure. Des systèmes de sécurité uniquement animés par un humanisme béat seraient rapidement contournés par l’ennemi et ils ne seraient pas en mesure de voir venir les menaces et de les écarter. Il faut donc trouver une voie médiane entre les deux extrêmes que serait une politique totalement dénuée de principes moraux et une politique totalement dénuée de souplesse.
Saint-Jean-sur-Richelieu, novembre 2006
Bibliographie
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[1] Les scènes de décapitations diffusées sur l’Internet prouvent la barbarie dont les organisations terroristes sont capables. Il est à noter que ces comportements ne sont pas nouveaux chez les partisans de la terreur. Après qu’ils ont été guillotinés, les têtes des ennemis de la Révolution française étaient montrées à la foule. À la fin des années 80, l’agent de la CIA William Buckley a été filmé pendant qu’il était torturé à mort par le Hezbollah à Beyrouth. Les vidéos étaient ensuite envoyées à des ambassades américaines.
[2] Tony Pfaff, par exemple, soutient l’idée que ceux qui décident de jouer le jeu du terrorisme doivent s’attendre à en subir les conséquences, et que cette anticipation elle-même constitue la base d’une justification des méthodes employées par les services de sécurité. Pfaff ne va pas cependant jusqu’à justifier explicitement l’usage de la torture. Cf. "Bungee Jumping off the Moral Highground: Ethics of Espionage in the Modern Age", dans Ethics of Spying, Toronto, The Scarecrow Press, 2006, pp. 66-103.
[3] Allhoff, Fritz. « An Ethical Defense of Torture in Interrogation », Ethics of Spying, p.126-140.
[4] Richard Posner propose, pour sa part, une interprétation de la constitution américaine qui ouvre la porte à l’utilisation de la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il soutient notamment qu’elle peut être justifiable du point de vue moral et politique.. Cf. Posner, Richard. Not a Suicide Pact. The Constitution in a Time of National Emergency, Oxford University Press, 2006, p.9-10.
[5] Ethics of Spying, p.132
[6] Dans la même veine, on pourra lire aussi l’article de Michael Ignatieff intitulé Lesser Evils, disponible sur le site Internet de la John F. Kennedy School of Government, http://www.ksg.harvard.edu/.
[7] Ethics of Spying, p.134.
[8] Ethics of Spying, p.134
[9] L’argumentation fondée sur la probabilité d’un bien à venir pose également en elle-même un problème éthique sérieux. Dans l’article intitulé : « D’un prétendu droit de mentir par humanité » Kant répond à l’un de ses critiques, Benjamin Constant, qui soutenait que les devoirs ne sont pas absolus et qu’il fallait nécessairement faire des exceptions pour rendre possible la vie en société. Constant soutenait, un peu comme le fait Allhoff, que les brigands ne devraient pas avoir les mêmes droits que les autres, notamment par rapport à la vérité. Il suggérait en conséquence que l’on pouvait mentir à l’un d’eux si ce mensonge pouvait éviter un plus grand mal – un assassinat par exemple. Kant fait justement remarquer que dire la vérité à un criminel n’entraînera pas nécessairement un crime, alors que le fait de mentir – à qui que se soit - constitue toujours une faute. L’obligation de dire la vérité est un impératif catégorique et sa valeur est universelle. Kant poursuit en disant que le mensonge est en lui-même un crime et que le fait d’essayer de le justifier par des hypothèses sur ce qui adviendra s’il n’est pas commis, n’a aucune valeur morale. Il conclut en affirmant que le fait de mentir ruine le lien de confiance qui est à la base de tous les contrats et qu’il détruit donc la société au lieu de la rendre possible comme le soutenait Constant. Cette conclusion à l’avantage d’être simple et claire. Cf. Kant, Emmanuel, « D’un prétendu droit de mentir par humanité », traduction de Luc Ferry, dans Œuvres philosophiques, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1985, tome 3, p.433-441. Pour une discussion plus détaillée de ce texte on se reportera à notre chapitre intitulé : « Emmanuel Kant : La morale du devoir », dans Philosophie : Éthique et politique, publié sous la direction de Yvon Paillé, Laval, Études Vivantes, HRW, 1999, p. 102-103.
[10] Cette question fait référence à une affirmation à cet effet de Julien Freud dans L’essence du politique., Paris, Sirey, 1965.
[11] Cf. Ricœur, Paul, « Le paradoxe politique », dans Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1955, p.260-285.
[12] Nicolas Machiavel, Le Prince, traduction de Jean Anglade, Paris, Livre de Poche, 1972, p.80.
[13] Roberts, Adam, « La ‘guerre contre le terrorisme’ dans une perspective historique », dans Justifier la guerre ? De l’humanitaire au contre-terrorisme, sous la direction de Gilles Andréani et Pierre Hassner, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2005, p.162.
[14] McCoy, Alfred W., A Question of Torture: CIA Interrogation, form the Cold War to the War on Terror. New York, Metropolitan Books, 2006.
[15] Nous avons discuté ailleurs des causes et des conséquences de la Guerre d’Algérie ainsi que des justifications de la violence que cette guerre à générer. Cf. Géopolitique et pouvoirs, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2003, publié en collaboration avec Gérard A. Montifroy et Limites de la violence, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, publié en collaboration avec Yves Trottier.
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[1] Les scènes de décapitations diffusées sur l’Internet prouvent la barbarie dont les organisations terroristes sont capables. Il est à noter que ces comportements ne sont pas nouveaux chez les partisans de la terreur. Après qu’ils ont été guillotinés, les têtes des ennemis de la Révolution française étaient montrées à la foule. À la fin des années 80, l’agent de la CIA William Buckley a été filmé pendant qu’il était torturé à mort par le Hezbollah à Beyrouth. Les vidéos étaient ensuite envoyées à des ambassades américaines.
[2] Tony Pfaff, par exemple, soutient l’idée que ceux qui décident de jouer le jeu du terrorisme doivent s’attendre à en subir les conséquences, et que cette anticipation elle-même constitue la base d’une justification des méthodes employées par les services de sécurité. Pfaff ne va pas cependant jusqu’à justifier explicitement l’usage de la torture. Cf. "Bungee Jumping off the Moral Highground: Ethics of Espionage in the Modern Age", dans Ethics of Spying, Toronto, The Scarecrow Press, 2006, pp. 66-103.
[3] Allhoff, Fritz. « An Ethical Defense of Torture in Interrogation », Ethics of Spying, p.126-140.
[4] Richard Posner propose, pour sa part, une interprétation de la constitution américaine qui ouvre la porte à l’utilisation de la torture dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il soutient notamment qu’elle peut être justifiable du point de vue moral et politique.. Cf. Posner, Richard. Not a Suicide Pact. The Constitution in a Time of National Emergency, Oxford University Press, 2006, p.9-10.
[5] Ethics of Spying, p.132
[6] Dans la même veine, on pourra lire aussi l’article de Michael Ignatieff intitulé Lesser Evils, disponible sur le site Internet de la John F. Kennedy School of Government, http://www.ksg.harvard.edu/.
[7] Ethics of Spying, p.134.
[8] Ethics of Spying, p.134
[9] L’argumentation fondée sur la probabilité d’un bien à venir pose également en elle-même un problème éthique sérieux. Dans l’article intitulé : « D’un prétendu droit de mentir par humanité » Kant répond à l’un de ses critiques, Benjamin Constant, qui soutenait que les devoirs ne sont pas absolus et qu’il fallait nécessairement faire des exceptions pour rendre possible la vie en société. Constant soutenait, un peu comme le fait Allhoff, que les brigands ne devraient pas avoir les mêmes droits que les autres, notamment par rapport à la vérité. Il suggérait en conséquence que l’on pouvait mentir à l’un d’eux si ce mensonge pouvait éviter un plus grand mal – un assassinat par exemple. Kant fait justement remarquer que dire la vérité à un criminel n’entraînera pas nécessairement un crime, alors que le fait de mentir – à qui que se soit - constitue toujours une faute. L’obligation de dire la vérité est un impératif catégorique et sa valeur est universelle. Kant poursuit en disant que le mensonge est en lui-même un crime et que le fait d’essayer de le justifier par des hypothèses sur ce qui adviendra s’il n’est pas commis, n’a aucune valeur morale. Il conclut en affirmant que le fait de mentir ruine le lien de confiance qui est à la base de tous les contrats et qu’il détruit donc la société au lieu de la rendre possible comme le soutenait Constant. Cette conclusion à l’avantage d’être simple et claire. Cf. Kant, Emmanuel, « D’un prétendu droit de mentir par humanité », traduction de Luc Ferry, dans Œuvres philosophiques, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1985, tome 3, p.433-441. Pour une discussion plus détaillée de ce texte on se reportera à notre chapitre intitulé : « Emmanuel Kant : La morale du devoir », dans Philosophie : Éthique et politique, publié sous la direction de Yvon Paillé, Laval, Études Vivantes, HRW, 1999, p. 102-103.
[10] Cette question fait référence à une affirmation à cet effet de Julien Freud dans L’essence du politique., Paris, Sirey, 1965.
[11] Cf. Ricœur, Paul, « Le paradoxe politique », dans Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1955, p.260-285.
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[14] McCoy, Alfred W., A Question of Torture: CIA Interrogation, form the Cold War to the War on Terror. New York, Metropolitan Books, 2006.
[15] Nous avons discuté ailleurs des causes et des conséquences de la Guerre d’Algérie ainsi que des justifications de la violence que cette guerre à générer. Cf. Géopolitique et pouvoirs, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2003, publié en collaboration avec Gérard A. Montifroy et Limites de la violence, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, publié en collaboration avec Yves Trottier.
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